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What's new ? Le retour de Ryuichi Sakamoto ! Pensez-vous qu'il y a un limite pour un compositeur ? Je me suis posé cette question plusieurs fois, en restant toujours à l'écoute des musiciens « virtuoses (du latin virtuosus) » qui, aussi bien qu'ils peuvent jouer, n’arrivent pas à susciter des véritables émotions chez l'auditeur. Il faut le reconnaitre: la plupart des critiques sont superficielles, et les gens se contentent de peu. Enfermé dans ces tristes pensées, croyant que la plupart des chansons du rock en sens large n’était plus qu'un « ensemble de notes sans aucun sens » tout d'un coup j'ai découvert ce que c'était vraiment jouer... j'ai entendu ce qu'est la vraie musique. En 1996, Ryuichi Sakamoto, compositeur et pianiste japonais, co-fondateur de mon groupe culte YMO (Yellow Magic Orchestra) a sorti un album éponyme « parfait », arrangé pour piano, violon et violoncelle, que j’ai écouté sans ennui et distraction de la première à la dernière note. Des chefs-d'œuvre tels que "Rain", "Merry Christmas Mr. Lawrence", "Bibo No Aozora" sont les produits d'un homme qui tisse ensemble des notes et des émotions
si intraduisibles avec son piano. Sakamoto est pour moi un de plus grands compositeurs et musiciens actuels et je me sens embarrassé pour décrire sa musique car les mots perdent leur signification devant la grandeur de cet homme. Pour le concert de ce soir, Sold-out naturel, première date de sa nouvelle tournée, le Maître à ressuscité la formule du trio appliquée sur "1996" pour donner une vie à des nouvelles compositions ainsi que à ses classiques intemporels (les thèmes de Furyo, du Dernier Empereur...) avec son éclectisme raffiné et le tout sans amplis puissants, guitares électriques, batterie... à moins 105 décibel. Un concert dans la magnifique salle de La Cité de la Musique de Paris, soirée très attendue par des générations qui se mélangent et une excellente façon de se laisser emporter avec plaisir par un spectacle flottant entre la musique pop, ambiant, Word et Classique.
20h10 : la salle en configuration assise est pleine, les lumières s'éteignent et ce moment assez divin est envahi par un silence étrange, presque irréel qui empli l'atmosphère. L’attente est presque religieuse et on a empêché les mouches de voler. Sur la scène le décor est posé dans une espace noir: un piano noir à grand queue armé de microphones sur la gauche, un violoncelle au centre et un violon à droite, devant une toile noire... rien d’autre. Excitant et intrigant.
Ryuichi Sakamoto, presque sexagénaire, en costume noir, T-Shirts et pantalon, arrive silencieux comme une apparition céleste, un léger sourire sur ses lèvres et une lueur dans ses yeux vifs, bien masqué par une grande paire de lunettes avec des verres épais. Les cheveux en coupe casque sont complètement gris. Un petit salue d’homme heureux, rien de plus. Applaudissements de bienvenue mais rapidement le silence reprend sa place. Cela dit, on peut commencer... Il s'assoit au piano, unique refuge de timidité excessive, pour le coup d'envoi de ce concert minimal, fascinant, presque mystique et en même temps de son « Trio European Tour ». Une petite lumière illumine le Maître, il tourne les pages des partitions musicales, il réajuste ses lunettes, se concentre après avoir passé une main entre ses cheveux et puis sans un mot avec les doigts des ses mains commence à délivrer un mélange de sons qui tombent comme un rideau de pluie sur un tapis de notes sucrées. Sakamoto caresse les touches de son Steinway avec une légèreté et une concentration digne d'un "Moonlight Sonata"... il est un artiste extraordinaire et cela saute aux oreilles.
Il ouvre avec Fukushima 1, nouvelle mélodie simple, dédié aux enfants victimes de la catastrophe nucléaire du 11 mars 2011 et en douceur apaisante se développe, sans bruit, un sentiment émotionnel de notes dans cette obscurité totale. L
'impact émotionnel de cette performance est forte, attachante, parfois vibrante. Il y a dans cette musique une sensation glaciale, limpide, dans une orbite qui se approche juste pour donner un peu d'elle-même en vue d'une réponse étourdie, mais contenue.
Il y a un moment de frénésie, d''excitation, et il y a aussi un instant de douceur, de sérénité, de mélancolie. Il ne s'agit pas de critiquer ceci ou cela. Les mutations de l'harmonie sont si bien camouflées qu’on a toujours l'impression d'être piégés dans un fluide composé de sons qui se déplacent autour de nous ... Les jeux des lumières suiventt la tendance de la musique, s’augmentant ou s’en réduisant à un minimum en fonction de chansons (peut-on les appeler ainsi ?). L’acoustique de la salle, comme d’habitude, frôle la perfection et
l'atmosphère est plutôt solennelle. C’est un enchantement pour une immersion totale : rien ne nous échappe. Cette sonorité Zen, capable de se transformer en mantra, hypnotise le public, seulement appelé à applaudir à la fin du morceau et à se renfermer aussitôt dans un silence absolu pendant la suite pour l'écoute de l'instant. Suit Nostalgia, avec l'entrée sur scène du fidèle musicien et ami de longue date, le brésilien Jaques Morelenbaum au violoncelle. Le troisième morceau Tamago 2004 complétera le Trio avec l’arrivé de la canadienne Judy Kang au violon (
choisie parmi une sélection au niveau mondiale). Voilà le groupe est au complet maintenant et les dialogues entre violon, violoncelle et piano sont enivrants. Instrumentale, poignante, magnétique. Imaginez les touches d'un piano qui avec une mélodie créent une spirale autour de vous qui vous entoure et vous enveloppe d'abord calmement puis de plus en plus envoûtante.
Impossible de penser à autre chose. L'auditoire est attentif et se révèle, minute après minute, être enthousiaste. Un premier «
Thank You » sort de la gorge de l’artiste, comme un murmure faible et circonspect, et il est difficile de savoir si c’est pour une timidité innée ou pour la naturelle discrétion qui caractérise, en général, tout le peuple du Japon.
Le concert se déroule le long d'une série de performances impeccables et très agréables. Sakamoto, avec des gestes élégants et cérémoniels, caresse les touches du piano, offrant en cadeau aussi des nouvelles versions aux musiques qui l’ont rendu très populaire, à partir de la BO High Heels (Talons Aiguilles) du film de Pedro Almodovar, à l’attendu Merry Christmas Mr. Laurence (Furyo, avec David Bowie) de Nagisa Oshima (sommet d’émotion!
je dois preciser que j'ai senti un frisson au premières notes, sans doute l'un des morceaux les plus attendus de la soirée) jusqu’à à celles de The Sheltering Sky (Un thé au Sahara) et The Last Emperor de Bernardo Bertolucci, souvenir de son Prix Oscar de 1987. Ce qui sort de l'écoute de la musique de Sakamoto est la simplicité, la tranquillité et la modernité. Des mélodies remarquables qui sont devenues familiers parce qu'elles appartenaient à notre imagination, en attente d'un musicien qui leur donne vie. Pas d’effets spéciaux seulement quelques notes de piano pour créer un vrai concert avec une musique libre de devoirs. La sérénité est aussi l'épine dorsale de l'art de Sakamoto. La musique est jouée tranquillement et avec une certaine lenteur. La suggestion est le résultat du calme. Pour inspirer la paix et la tranquillité, il utilise une technique spéciale: il joue souvent en utilisant uniquement les sept dernières touches du piano, celles plus aiguës, les plus dures et les moins utilisées, mais il donne ainsi un sens différent à chaque note afin de les éclater en sentiment et à les faire vivre. Et enfin il y a naturellement la modernité du son. On a la sensation que les notes n'émergent pas uniquement des touches du piano, mais de son cœur, de son âme mis à nu et on réussit à comprendre parfaitement le message qu'ils véhiculent, un message qui est purement émotionnel. Sa musique pourrait être décrite comme « pour beaucoup mais pas pour tous », en raison de sa particularité, mais néanmoins, le public est venu pour admirer et profiter de la touche de magie de son inspiration avec le piano et l'étonnant effet sonore de sa musique.
Le concert s'arrête une première fois après la mélodie 1919, mais les applaudissements de l'auditorium sont incessants pour rappeler à plusieurs reprises le pianiste sur scène. Il revient ainsi avec son Trio pour jouer Ichimei Main Theme, après nous avoir dit «
I was in the studio playing this song when there was the first shock... Fukushima, a terrible time for Japan... »... puis il reviendra une deuxième et dernière fois, seul, pour le morceau Aqua. Les lumières rallumées, une révérence avec le groupe en geste de remerciement et le maître japonais, mains assemblées en forme de prière sur la poitrine, sans dire un mot, salue rapidement Paris et quitte la scène, sous les applaudissements sonores, pour savourer son triomphe dans les coulisses. Après 1h30 de concert,
emportés par la sublimité et la légèreté de ce son de piano, le voyage mêlé d’harmonies se termine ainsi mais le public, fasciné par tant de maîtrise, de
virtuosité, de perfection et d’émotion, heureux d'être là et d'avoir pu apprécier en Live une artiste extraordinaire, reste à applaudir longuement devant la scène.
De ce qui a été dit jusqu'ici, il sera probablement assez clair que le concert de ce samedi soir a été vraiment génial. Avec une Setlist qui a respecté, pendant une bonne heure, les morceaux de l’album "1996", et pour le reste il y a eu quelques surprises avec l’incomparable maîtrise instrumental de Jaques Morelenbaum suivi de Judy Kang au violon dans des mélodies douces et sublimes. C'était beau, c'était somptueux, c'était du grand Sakamoto. Grande soirée, un artiste immense, et un excellent choix de la salle de concert, parfaite pour des noms et des sons de ce calibre. Ce concert, expérience émotionnelle et difficile de le placer dans une catégorie, était le lien entre l'extase de la musique Classique et la turbulence du Rock et je peux affirmer que ce soir « Le Dernier Empereur » était bien lui : Ryūichi Sakamoto. Le dernier lutin du Soleil Levant, une fois encore, a montré sa grande capacité d'empathie avec toutes sortes de musique.
Music for piano is the best emotional thing... »